la CARTE NATIONALE D'IDENTITÉ AU MALI: Confusion entre discours et réalité sur les lieux de délivrance
Dans le présent article, nous faisons un point sur la situation de spoliation qui persiste depuis plus d'une décennie, par les services administratifs (commissariat de police, brigade de gendarmerie, cercle) des populations au Mali en ce qui concerne la délivrance de la CARTE NATIONALE D'IDENTITÉ. Ce fait a créé chez les populations un constant de doute et de confusions sur les conditions réelles de procuration de cette pièce nationale.
La corruption est un problème exacerbé au Mali. Elle est ancrée dans les comportements quotidiens, et affecte presque toutes les structures sociales et administratives du pays, même la plus incorruptible qu'on peut imaginer, tant l'éducation malienne est remise en question.
A ce sujet, (Toure, 2017) mentionne : Le Mali est un pays pauvre, mais il souffre moins de son manque de richesses que de la mauvaise gestion teintée d’affairisme et de corruption. Une petite minorité de personnes a accaparée la majorité des richesses du pays qu’elle gère selon son bon vouloir. Comme d’habitude, entre le discours et la réalité, le fossé reste énorme. La corruption et l’impunité doivent être combattues et sanctionnées avec rigueur. Le refus de sanctionner, le silence devant la corruption appartiennent aussi à l’ordre de la corruption. La société malienne est gangrenée. La pratique de la corruption n’est pas un fait isolé au Mali, elle tend de plus en plus à se généraliser. Le phénomène est, dit-on aujourd’hui, systématique. Les acteurs de la corruption se rencontrent dans tous les secteurs publics, parapublics et privés. Ils sont présents dans toutes les catégories socio-professionnelles.
Cependant, nous passons de la corruption à la spoliation des populations par les services en charge du travail concernant la délivrance de la carte nationale d'identité.
Afin de mieux aborder notre sujet, nous posons les questions suivantes :
Comment la délivrance de la carte nationale d'identité doit-elle se faire suivant son institution et réglementation au Mali ?
La carte d'identité est-elle un droit ou un devoir ?
Quels sont les contours réels de la délivrance de cette pièce au Mali ?
Quelle est la place de la population ? En quoi cette population est elle-même partie prenante de sa propre spoliation ? Comment peut-elle mettre un terme à cela ?
Pour répondre à ces questions, nous avons consenti une analyse intéressante des documents officiels en rapport avec les démarches administratives courantes, leurs procédures de délivrance avec d'importantes observations de plusieurs scènes et un recueil d'un grand nombre de témoignages auprès des citoyens.
Dans un premier temps, nous allons décrire la démarche de délivrance de la carte nationale d'identité dans les détails, ensuite nous éclaircirons les conditions dans lesquelles il faut avoir une pièce d'identité, dans un troisième temps, nous décrirons la réalité quotidienne au tour de cette pièce avec à l'appui des multiples témoignages tout en imputant la responsabilité de la population nombreuse de l'accablement de son propre sort, et enfin, nous allons proposer des solutions en concluant notre travail, pouvant mettre fin à ces pratiques délictueuses qui se perpètrent en longueur de journée rendant la vie plus chère à des maliens qui suent déjà eau et sang afin de survivre.
CARTE NATIONALE D'IDENTITÉ
Procédures et lieux de délivrance :
L’Usager se présente à la Section Carte d’Identité du Commissariat de Police de sa Commune, à la Brigade de Gendarmerie, ou au Cercle.
L’Agent de la Section procède au recueil des informations suivantes sur un imprimé :
‐ Relevé des empruntes digitales.
‐ Mesure de la taille.
‐ Relevé de l’adresse complète (Rue, porte), Nom du Logeur éventuellement.
Le spécimen de la Carte d’Identité est rempli par un agent de la Section qui colle la photo et le transmet au Chef de la Section.
Le Chef de la Section procède à sa vérification, à son enregistrement et établit un quittancier, et transmet au Commissaire qui signe après vérification et la renvoie à la Section Carte d’Identité où elle est plastifiée et remis à l’Usager.
Documents à fournir :
‐ 3 photos d’identité
‐ Carte d’Identité en fin de validité (ou une copie de l’extrait d’acte de naissance, ou le Carnet de Famille, ou l’acte de mariage ou encore 2 témoins connus du quartier munis de leur pièce d’identité en cour de validité).
‐ Timbres fiscaux (500 + 200 francs CFA).
Coût légal :1.000 FCFA au retrait de la Carte d’identité à donner contre un reçu.
Délai d’obtention : 24 heures
Références/sources : Décret n°014/PG-RM du 09/01/88 pourtant Institution et Règlementation de la Délivrance de la Carte D'identité et de la Carte Consulaire
Source d'information : GUIDE DES DEMARCHES ADMINISTRATIVES COURANTES, Commissariat au Développement Institutionnel (CDI)
Quartier Administratif - Dar Salam, Rue N°563
BP 1528 - Bamako-MALI
Tél: 20 23 20 72/ 20 22 20 14 – Fax : 20 22 87 90
http://www.cdi-mali.gov.ml – E.mail : cdi@cdi-mali.gov.ml
1ère Edition - Octobre 2010
CARTE NATIONALE D'IDENTITÉ, DROIT OU DEVOIR DU CITOYEN :
Il importe pour chaque citoyen de savoir que la pièce d'identité est un droit pour le citoyen et non un devoir ou une obligation. Il est plutôt du devoir de l'Etat de la fournir à ses citoyens.
Au Mali comme en France, nul n'est en principe obligé d'avoir une carte d'identité.
Cependant, pour la plupart des démarches, il est nécessaire de justifier son identité. Si on n'a aucun titre d'identité, on risque donc d'être confronté à des difficultés.
Il peut s'agir, par exemple, des situations suivantes :
▪passer un examen ou un concours,
▪s'inscrire à Pôle emploi,
▪s'inscrire sur les listes électorales et ▪voter aux élections,
▪effectuer des opérations bancaires (paiement par chèque, par exemple),
▪voyager à l'étranger...
Avoir une pièce d'identité est donc avéré bénéfique en ce sens que celle-ci fournit les informations les plus détaillées sur l'individu ; d'autant plus qu'elle comporte, au delà des noms et prénoms, date et lieu de naissance, la taille, le teint et la photo.
CONTOUES REELS ET PARADOXE DE LA DÉLIVRANCE DE LA PIÈCE NATIONALE D'IDENTITÉ AU MALI :
La lutte contre la corruption a été soulignée comme une des priorités par le régime en place. Cette lutte ne peut être effective sans mettre un frein à certaines pratiques qui contribuent à mettre davantage les citoyens dans un état d'inconfort grandissant. L'objet du présent article paraît une urgence si l'on a la volonté de faire connaître un minimum de satisfaction au peuple malien. Le Mali est encore un pays au taux d'analphabétisme élevé. Cette situation va de pair avec l'ignorance des lois et des réglementations des institutions par une bonne majorité de la population. Tout cela expliquerait la manière dont les gens sont spoliés en République du Mali. Il n'est pas aussi exclu que des gens bien alphabètes soient victimes de ce phénomène. Le chapitre des témoignages nous en rend compte évidemment, un peu plus bas.
Certes, plusieurs communiqués ont été diffusés relativement au bon cadrage de ce sujet à problème, depuis le premier mandat du président IBK. Nul n'ignore combien les maliens crient du manque d'argent depuis l'élection présidentielle de 2013. Les frustrations augmentent en faisant payer par les gens plus que ce qu'ils doivent, surtout pour avoir quelque chose qui leur est de plein droit.
En dépit de ces communiqués, de nombreux témoignages prouvent que le mal diminue peu ou presque pas au sein de nos commissariats de police, brigades de gendarmerie et cercles ; à telle enseigne que l'on peut se dire qu'il n'y a pas de mesures strictes contre de telles pratiques au Mali.
B. D témoigne en ces termes tout en s'interrogeant lui aussi sur le problème :《Qu'en est-il de la mise en application de la décision concernant la confection des cartes d'identité nationale ?
Je suis aujourd'hui témoigne d'un cas au 9ème arrondissement situé à Sebenikoro. La dame avait son ancienne carte d'identité et on lui a dit de payer 3000 f, frais de timbres exclus. On lui a dit qu'elle n'a pas amené son acte de naissance et que si elle avait cet acte de naissance, elle payerait 2000 f. Une somme qui dépasse la somme des timbres et celle de la confection. Je suis très blessé dans mon État.》Décembre 2019
Un autre interlocuteur S.S.C, témoigne de la même somme (3000 f) que lui a prise ce même arrondissement situé dans le quartier (Sebenikoro) qu'habite le Président de la République lui-même.
Ce jeune universitaire du nom de A.N.M nous explique son cas à la brigade de la gendarmerie de Kalaban-coura (un quartier de la commune V du district de Bamako) : 《J'étais avec un ami et on nous a fait 4000 f chacun. Et le problème, c'est quand je venais retirer la carte vers 16h, j'ai trouvé une erreur au niveau de ma date de naissance. Quand j'ai montré l'erreur à l'agent de la section qui a voulu bien rectifier, un autre agent est venu me dire de payer encore 2000 f pour une nouvelle carte. C'est là qu'est advenu le scandale. Je lui ai dit de tout simplement rectifier l'erreur sinon de me rembourser les 4000 f qu'ils m'ont pris le matin. C'était enfin très compliqué.》Octobre 2019
LE PHÉNOMÈNE GÉNÉRALISÉ
Nous l'avons vu plus haut. La somme à payer pour se procurer une pièce nationale d'identité au Mali est clairement fixée par le texte qui réglemente sa délivrance. La réalité que font vivre les agents en charge de ce document par les populations est toute autre, aussi bien dans les centres urbains que dans les localités les plus reculées. La somme surajoutée peut varier d'un point à un autre, mais l'on constate que partout au Mali où cette pièce est distribuée, l'on paie plus que ce qui entre dans la caisse publique. Plusieurs interlocuteurs nous témoignent des cas dont ils ont été victimes en dehors de la capitale malienne.
M.K nous dévoile qu'on ne cesse de faire payer 2000 f par le quotidien des usagers qui se présentent au cercle de Bougouni.
Au 2ème arrondissement de Segou, un de nos interlocuteurs témoigne également de la somme de 2000 f.
UNE AUTODESTRUCTION DU PEUPLE :
Il est important de noter que de façon quotidienne, beaucoup de maliens se font mener par le bout du nez. Beaucoup s'enferment dans la peur et dans l'ignorance qu'ils restent longtemps dans un état d'intimidation des autorités publiques. Les citoyens doivent garder à l'esprit qu'ils sont les seuls à faire fonctionner les services publics et que ces derniers ne fonctionnent que pour eux.
《Toute attitude des agents publics à l'égard du peuple n'est que le résultat d'une permission longtemps accordée à ces agents par le peuple lui-même.》
En effet, si nous permettons que les policiers nous prennent 1000 f à la circulation, les policiers continueront, de bon vouloir, à nous prendre 1000 f tous les jours.
Si nous permettons que l'admission aux différents concours soit conditionnée à un glissement de pots-de-vin ou à une parenté interpersonnelle avec les décideurs, les concours se passeront ainsi.
De même, si nous permettons qu'on nous fasse payer plus de 1700 f pour la carte nationale d'identité, le reste de l'argent ira silencieusement dans leurs propres poches.
Ça ressemble telle à une autodestruction de la population.
CONCLUSION
On est actuellement à un moment où l'Etat malien s'inscrit dans un état de dysfonctionnement indubitable à tous les niveaux. De la famille au plus haut niveau d'organisation sociale, le pays est atteint de gangrène. Nul n'est aujourd'hui obligé de passer par un jugement supplétif pour se faire un acte de naissance. Nul n'est obligé de passer par une auto-école pour passer un permis de conduire. La justice est telle qu'on n'a pas besoin d'avoir raison pour gagner un procès étant riche.
Il est impérieux de trouver des solutions pour un pays à grande déliquescence comme le nôtre, non seulement pour la délivrance de la carte d'identité mais aussi et surtout pour le bon fonctionnement du système global.
Nous proposons des mesures suivantes à prendre avec rigueur :
▪Dire aux principaux commissaires avec insistance de veiller au déroulement correct de façon légale en tout ce qui concerne les besoins des populations qui sont liés à leur service dans nos commissariats notamment ;
▪Faire de même avec les chefs des différentes gendarmeries, les préfets des cercles et les sous-préfets des communes rurales et tous les directeurs de services publics en général ;
▪Sanctionner conformément à la loi tout comportement délictueux de la part des agents publics ;
▪Renforcer davantage les capacités des organismes de contrôle et de surveillance étatiques les rendant plus efficaces et indépendants dans leur tâche ;
▪Informer les citoyens sur les procédures concernant les démarches administratives tels que les coûts légaux, les pièces à fournir tout en les permettant de dénoncer librement, sans problème, les pratiques qui vont à l'encontre des réglementations institutionnelles établies par la loi.
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